Le nucléaire, indispensable en 2050 ?

publié par
Adrien Burdy
le
Tuesday
20
February
2024

Le nucléaire est souvent l’objet de discussions passionnées en France. L’objectif d’Horizons Décarbonés est de donner des informations fiables sur les trajectoires possibles du nucléaire en France dans l’objectif d’une neutralité carbone en 2050. Fidèle à l’esprit de l’atelier, nous ne disons pas quelle trajectoire est préférable, nous laissons ce choix à la sagacité du lecteur en fonction de ses valeurs et connaissances sur d’autres sujets. Nous n’aborderons ni les questions de la sûreté ni les questions de déchets qui méritent des articles à part entière, nous nous focaliserons sur les questions d’énergie et de climat qui sont le cœur (de réacteur !) de l’atelier Horizons Décarbonés.

Commençons par recadrer la discussion sur le nucléaire dans la transition écologique française par les points suivants :

  1. Le nucléaire est une source d’énergie au poids très surestimé
  2. c’est une source d’électricité décarbonée et pilotable
  3. la filière française est plutôt mal en point actuellement
  4. c’est un potentiel levier parmi une multitude d’autres

Et nous pourrons ensuite travailler sur le nucléaire à l’horizon 2050.

  1. un double handicap de poids : la durée de construction et le manque de grande série
  2. une technologie qui peut avoir un poids important mais pas majoritaire : maximum 50% de l’électricité en 2050 sera nucléaire
  3. Il est possible de se passer de nouveau nucléaire mais il y a des contreparties
  4. dans le monde, un des scénarios de référence donne 9% d’électricité nucléaire avec un doublement du parc à horizons 2050
  5. Le coût du nucléaire est un indicateur complexe, à manier avec prudence pour éviter les comparaisons inappropriées.

Le nucléaire est une source d’énergie au poids très surestimé

La question qui ouvre la partie énergétique d’Horizons Décarbonés est : “quelle est la première source d’énergie consommée en France ?”, la bonne réponse arrive assez rarement.

Le plus souvent c’est la réponse “le nucléaire” qui est prononcée en premier, témoin d’un déficit d’information important. Le nucléaire n’est que la troisième source d’énergie en France et lorsque l’on raisonne en empreinte, le nucléaire apporte 3 fois moins d’énergie que la première source d’énergie : le pétrole. La deuxième source d’énergie est le gaz fossile (aussi appelé gaz naturel).

La polarisation du débat entre les anti et les pro-nucléaire mais aussi les grandes tours aéroréfrigérantes proches des centrales aident à penser que notre pays tourne au nucléaire mais c’est une erreur. Il tourne d’abord au pétrole et au gaz et c’est cela qui pose un problème de changement climatique.

Le nucléaire produit un peu moins de 70% de l’électricité en France mais l’électricité représente environ un quart de l’énergie consommée en France. [1]

Consommation finale à usage énergétique par énergie en 2022

Le nucléaire est une source d’électricité décarbonée et pilotable

Le statut bas-carbone du nucléaire n’est pas clair dans le grand public.

Dissipons une fausse idée, la vapeur d’eau qui s’échappe des grandes tours aéroréfrigérantes près des réacteurs nucléaires ne réchauffe pas le climat. La vapeur d’eau est bien un gaz à effet de serre, c’est même le premier devant le CO2. La nuance, de taille, est que l’homme n’a pas de contrôle direct sur la concentration de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. La vapeur d’eau ne s’accumule pas dans l’atmosphère lorsque l’espèce humaine évapore de l’eau (avec une casserole ou une centrale nucléaire) alors que le CO2 s’accumule bel et bien et augmente donc le changement climatique.

Le CO2, principal gaz à effet de serre anthropique (dû aux activités humaines) est principalement issu de la combustion de chaînes carbonées de combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz). Le carbone (C) des fossiles se recombine avec l’oxygène (O) de l’atmosphère pour former du CO2.

Lors d’une réaction nucléaire il n’y a pas de carbone en jeu mais de l’uranium, il n’y a donc pas de production de CO2 lors de la production d’électricité.

En revanche, si on raisonne en cycle de vie complet, il y a des émissions de CO2 pour faire le béton et l’acier des centrales, pour extraire et transporter l’uranium pour gérer et stocker les déchets etc.

Lorsque l’on additionne toutes ces émissions et qu’on les divise par la production totale d'électricité, on trouve une électricité très bas-carbone.

Le GIEC donne une moyenne mondiale de 12 gCO2e/kWh en 2014. [2] La dernière étude pour l’électricité nucléaire française donne quant à elle 4 gCO2e/kWh. [3]

Utiliser du charbon pour faire de l’électricité donne autour de 800 gCO2e/kWh et 500gCO2e/kWh pour de l’électricité à partir de gaz. L’électricité nucléaire est autour de 100 fois moins carbonée que l'électricité d'origine fossile.

Pour information les éoliennes installées en France émettent autour de 10gCO2e/kWh et des panneaux solaires fabriqués récemment en Chine et installés en France autour de 45gCO2e/kWh. [2] Ce sont bien des sources d'électricité bas carbone. Même si le nucléaire émet moins, la différence n’a pas grande importance : souvenez-vous des dimensions des cartes bleues pour la production électrique en 2050. Elles étaient très verticales et c’est cela qui comptait vraiment.

Il est par ailleurs indubitable que le nucléaire est une source d’électricité pilotable. La puissance des réacteurs peut être modulée à la hausse comme à la baisse, de jour comme de nuit, avec ou sans vent. Cette technologie ne dépend pas de la météo et nos considérations justifiées pour la biodiversité nous emmènent à ralentir ou arrêter les centrales lorsqu’elles rejettent de l’eau trop chaude pour la faune et la flore du fleuve en aval. C’est un phénomène marginal qui a lieu en été lorsque la tension sur le réseau est faible.

Disclaimer : dans ce qui suit, nous allons utiliser le rapport "Futurs énergétiques 2050" de RTE [4] et non le rapport de l’ADEME alors que RTE n’est pas la base d’Horizons Décarbonés. Pourquoi ? Nous avons utilisé les scénarios de l’ADEME car ils scénarisent l’ensemble de l’énergie (et pas seulement l’électricité) ce qui était crucial pour notre objectif de donner une vision d’ensemble des enjeux aux participants. Néanmoins RTE a fait un travail beaucoup plus précis pour la partie électrique et c’est la raison pour laquelle nous utiliserons le rapport Futurs énergétiques 2050 publié en 2022 dans cet article. Les grands messages sont communs entre RTE et l’ADEME ce qui renforce la robustesse de cette vulgarisation.

La filière française est plutôt mal en point actuellement

Le parc nucléaire français est un des plus importants au monde, il a été construit en quelques décennies (le premier réacteur a été installé en 1955) et 54 réacteurs ont été installés dans les 20 ans qui ont suivi le premier choc pétrolier [5].

Plus de 200 000 personnes travaillent dans cette filière et la France, via différentes entreprises, maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur de l’extraction, au traitement du combustible en passant évidemment par l’exploitation. [6]

Un premier réacteur nouvelle génération à Flamanville devrait entrer en fonctionnement complet en 2024, après un chantier de 17 années et 12 années de retard sur le planning initial de construction de l’EPR. [7] Certes le délai initial était manifestement trop court car égalant la construction des réacteurs les plus rapidement construits lorsqu’ils étaient en série alors que le design de celui-ci était nouveau mais les complications et retards ou mauvaises surprises sont réelles sur ce chantier.

La filière n’a pas encore fait la démonstration qu’elle était en mesure de construire beaucoup de réacteurs pour un prix contenu et rapidement comme elle a pu le faire dans le passé.

Le nucléaire est un potentiel levier parmi une multitude d’autres

Il est très important de garder à l’esprit que le nucléaire est dans Horizons Décarbonés une carte parmi de très nombreuses autres. Il y a une focalisation du débat sur ce procédé de production d’électricité bas-carbone qui a tendance à occulter un très grand nombre de chantiers, à laisser penser qu’il suffit de remplacer notre parc nucléaire vieillissant (ce que la filière dit être incapable de faire soit dit en passant) pour résoudre le problème du changement climatique à l’échelle de la France.

Le nucléaire peut faire partie de la solution à condition d’avoir un débat apaisé sur le futur de l’électricité en France et c’est ce que nous allons voir

Le nucléaire présente un double handicap de poids : la durée de construction et le manque de grande série

Le nucléaire même si, une fois construit et fonctionnel produit beaucoup d’électricité pilotable et bas-carbone, présente 2 défauts majeurs.

Tout d’abord sa durée de construction. Si on passe l’exemple de Flamanville aux délais à rallonge et que l’on se fonde sur les déclarations d’EDF alors la première paire de réacteurs nucléaires produira en 2035 au plus tôt, soit 13 ans entre le discours de relance du nucléaire à Belfort par le président Macron et la mise en service. La deuxième paire 5 ans plus tard et la dernière autour de 2045. [4 p.164]

Or la France, et plus largement le monde, sont dans une course contre la montre pour baisser les émissions de CO2. Il s’agit de les baisser très fortement d’ici à 2030. Le nouveau nucléaire ne peut être d’aucune aide ici. Les baisses d’émissions se poursuivent après 2030 et le nouveau nucléaire peut jouer un rôle mais pas sur le court terme qui est pourtant essentiel.

Le deuxième est le manque de grande série de construction. Le cas du solaire est éloquent car il est passé de la source d’électricité la plus chère à la source la moins chère en 10 ans : il coûte au moins 10 fois moins cher désormais. Cela est dû à l’effet d’apprentissage d’une industrie qui fabrique ses panneaux solaires en usine, en très grande série et qui améliore ses performances petit à petit. L’installation d’une unité de production solaire est simple. Ce qui est complexe est fait en usine, en série et en atmosphère contrôlée. Pour le nucléaire, c’est le contraire, l’assemblage a lieu sur place avec, notamment, la difficulté de faire des soudures de très hautes qualités.

EDF essaie, à raison, de mimer cela en installant des paires de réacteurs sur un même site mais l’effet d’apprentissage ne joue pas autant et le prix du nucléaire ne baisse pas avec les années.

Evolution du prix de l'électricité de nouvelles sources de production

Une technologie qui peut avoir un poids important mais pas majoritaire : maximum 50% de l’électricité en 2050 sera nucléaire

Le gestionnaire de transport d’électricité RTE, en charge notamment de garantir l’équilibre à tous les instants entre l’offre et la demande d’électricité, a produit un travail unique au monde de scénarisation de la transition bas carbone pour éclairer le débat public sur le potentiel du nucléaire.

Il en ressort 6 scénarios qui vont du moins nucléarisé (100 % renouvelables en 2050) au plus nucléarisé. [4]

Ce dernier présente 50 % d’électricité à partir de nucléaire. C’est une donnée très importante à avoir en tête, actuellement 75 % de notre électricité vient du nucléaire. Si la filière nucléaire arrive à tenir ses objectifs et que les plus jeunes réacteurs actuellement en service sont prolongés au-delà de 60 ans alors la part du nucléaire baissera de 75 % à 50 %.

Il n’existe pas de scénario de transition bas-carbone en France sans nouveau renouvelable, il existe des scénarios de transition bas-carbone sans nouveau nucléaire.

Pas de nouveau nucléaire : une possibilité avec des contreparties

Contrairement à ce que pas mal de politiques affirment, il est possible d’avoir un mix électrique décarboné sans nucléaire en 2050 en France mais il existe des contreparties.

- Il faut logiquement que les renouvelables augmentent fortement leur production. Cela ne paraît plus insurmontable au vu des dernières années. Pendant de nombreuses années, l’ajout d’électricité renouvelable était assez faible quand on la comparait à la consommation nationale. Les choses ont changé : en 2023, l’Allemagne a installé en panneaux solaires l’équivalent de la production électrique de 2,5 centrales nucléaires. Pour donner une comparaison, l’objectif fixé par le président Macron est de construire 14 réacteurs à l’horizon 2050 soit 0,5 réacteur/an. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’il sera facile de produire toute l’électricité par du renouvelable mais les volumes installés actuellement et la dynamique exponentielle d’installation à travers le monde dépeint un tableau extrêmement différent d’il y a 10 ans.

Cela semble donc possible mais un consensus politique et social fort est nécessaire.

- Il faut aussi développer plus fortement les nouvelles énergies marines comme l’éolien en mer flottant. La France possède un gros potentiel mais c’est un défi industriel de les construire en grande quantité alors que la filière commence juste en France (elle est plus avancée dans le monde).

-Enfin il faut gérer la variabilité des renouvelables via la flexibilité de la demande, l’augmentation des interconnexions avec nos voisins et augmenter les moyens de stockage pour différentes échelles de temps (intra-journalier, intra-hebdomadaire et intra-annuel et interannuel). Cette question de la variabilité des renouvelables fera l’objet d’un article dédié. [4 p.375]

Dans le monde, un des scénarios de référence donne 9% d’électricité nucléaire avec un doublement du parc à horizon 2050

Dans le monde, le nucléaire possède un poids beaucoup plus faible qu’en France. Il produit autour de 10 % de l’électricité mondiale et 4% de l’énergie mondiale. [8]

L’Agence International de l’Energie a mis à jour en 2023 son scénario pour respecter les +1,5°C. Le nucléaire, au niveau mondial, double sa production d’électricité et sa contribution dans le mix électrique passe de 10 % à 8 % car la production totale d’électricité double également notamment via électrification des sociétés (voitures électriques au lieu de voitures thermiques) et le développement des pays en voie de développement. [9 p.91]

Le coût, un indicateur complexe, attention aux comparaisons inappropriées.

Le coût est un indicateur crucial mais pas unique pour apprécier la pertinence de tel ou tel scénario.

Sur ce point, les passions se déchaînent entre les partisans des renouvelables au prix, disent-ils, extrêmement faibles et les tenants du nucléaire qui affirment que ce prix ne tient pas compte du stockage qui fait alors monter la facture dans des proportions incommensurables.

Que penser ?

RTE a chiffré le coût complet des différents systèmes du plus au moins nucléarisés et a aussi assorti cette première étude d’analyses de sensibilité (lorsque telle hypothèse varie, quel est l’impact sur le coût complet ?).

De manière générale, les scénarios avec du nouveau nucléaire coûtent légèrement moins cher que ceux sans nouveau nucléaire. Au maximum, le scénario avec 50% de nucléaire en 2050 coûte 25% moins cher que le scénario 100% renouvelable lorsque l’on regarde les coûts complets en 2060.

Il est à noter que les incertitudes sur les coûts sont fortes et que RTE conclut que “l’absence d’écart « du simple au double » entre les coûts projetés pour les scénarios renforce la pertinence d’une appréciation des scénarios fondée sur plusieurs indicateurs qui ne soient pas exclusivement de caractère économique, mais prennent également en compte les enjeux industriels, environnementaux et sociétaux”.

Conclusion 

Le nucléaire prend beaucoup de place dans les débats sur l’énergie et on a tendance à oublier qu’il ne représente pas la source d’énergie principale, loin de là. C’est néanmoins une source d’électricité dont on parle beaucoup car elle présente les avantages d’émettre très peu de gaz à effet de serre et qu’elle est pilotable à l’inverse du solaire et de l’éolien. En revanche, elle n’est pas produite en série comme ces énergies renouvelables et le temps de construction de nouveaux réacteurs en fait de toute façon une solution à moyen terme (production à partir de 2035 si l’on se décide aujourd’hui). 

Le nucléaire ne pourra jamais pourvoir toute notre énergie. Dans les scénarios français de RTE, il ne dépasse pas 50% (et à l’échelle mondiale plutôt autour de 10%). Ainsi, il faut absolument un développement des énergies renouvelables dès aujourd’hui. La question du développement nucléaire se pose pour décarboner l’énergie à moyen terme mais doit être prise au sérieux dès aujourd’hui car elle nous engage pour des centaines voire des milliers d’années à cause des problématiques de gestion des déchets. Il ne faut pas négliger la modération de la demande grâce à une sobriété collective, qui reste le meilleur moyen de réduire les tensions sur l’approvisionnement en énergie et les émissions de GES.

Cela a été répété tout au long de cet article mais force est de constater qu’il est d’une importance vitale pour la réussite de la transition d’avoir une vision d’ensemble des enjeux afin d’avoir une décision éclairée et apaisée à propos de ce type d’électricité.

C’est bien l’intérêt de l’atelier Horizons Décarbonés qui, au-delà des coûts, permet de montrer le type de transformation à l'œuvre dans les différents choix de sociétés qui impliquent, ou pas, du nouveau nucléaire.

Pour participer à un atelier c’est par ici.