Faut-il accélérer l’extraction des métaux pour réussir la transition écologique ?

publié par
Adrien Burdy
le
Monday
19
February
2024

La question de l’extraction de matières est une des plus épineuses parmi les nombreuses posées par la transition écologique et sociale. Nous essayons ici de démêler le vrai du faux pour savoir s'il est possible et souhaitable d’extraire toutes les ressources (métaux, terres rares, …) nécessaires pour la transition vers des mobilités et de l’énergie bas-carbone.

Avons-nous assez de ressources minières pour faire la transition bas-carbone ?

La première chose à savoir est bien celle-ci : existe-t-il des quantités suffisantes de minéraux pour pourvoir la demande en métaux ?

D’après plusieurs rapports repris dans des articles d’Hannah Ritchie, la réponse est oui. [1,2]

Mais la situation est plus complexe et il faut bien comprendre la différence entre réserves et ressources.

  • Les ressources constituent la quantité connue ou supposée présente sur terre d’après nos connaissances actuelles.
  • Les réserves constituent la quantité de minerais extractible de manière économiquement viable avec les technologies actuelles.

En effet, l’ETC (Energy Transition Commission) assure que pour tous les métaux étudiés, les ressources minières sont suffisantes pour subvenir à la demande de l’industrie et des technologies d’énergies bas-carbone. En revanche, plusieurs métaux sont soumis à des risques d’épuisement concernant les réserves notamment le cuivre, le nickel, le lithium ou le cobalt. [3] Et ces métaux sont aujourd’hui largement utilisés dans les voitures électriques !

Il n’y a donc pas de doute sur les ressources (minerais physiquement disponibles) qui sont largement suffisantes pour réaliser une transition vers des mobilités et de l’électricité bas-carbone. Les réserves (minerais technologiquement et économiquement extractibles) sont par contre, pour plusieurs métaux stratégiques, inférieures à la demande cumulée projetée jusqu’à 2050 dans un scénario de neutralité carbone. Cela n’est pas forcément un problème car il est possible d’ouvrir des nouvelles mines d’ici-là ou de diminuer la demande (efficacité, recyclage, sobriété).

Il s’agit ici de projections. Et bien que l’ETC fasse des projections parmi les plus hautes sur la demande, il est fort probable que la demande soit en réalité différente de celle projetée. [4] Il faut donc rester prudent et considérer ces chiffres pour ce qu’ils valent c’est-à-dire des indicateurs pour avoir une idée des risques potentiels et orienter les décisions; et non des valeurs exactes définissant la possibilité ou l’impossibilité d’une transition vers les énergies bas-carbone.

La composition en métaux des technologies bas carbone n’est pas figée

Nous venons de voir qu’il faudrait élargir les réserves ou baisser la demande pour réaliser la transition énergétique d’ici 2050. Mais cela dépend grandement des estimations de la demande qui peuvent être très largement fausses.

Evolution de la demande projetée en cobalt selon les scénarios BNEF (gauche) - Evolution du ratio prix cuivre/prix aluminium et de la substitution du cuivre par l'aluminium

Pour preuve, les prévisions sur la demande en cobalt pour 2030 ont été réduites de 50% entre 2019 et 2022. Cela s’explique par la forte variation de la demande qui évolue beaucoup en fonction du prix des métaux. Si un métal devient moins cher, la demande d’autres métaux peut chuter car ils deviennent moins rentables.

C’est ce qu’il se passe avec l’évolution des batteries de voitures électriques. Le développement des batteries LFP (lithium-fer-phosphate) participe à la baisse de la demande en cobalt, auparavant utilisé dans les batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt).

L’arrivée de nouvelles batteries au sodium pourrait diminuer à son tour la demande en lithium lui aussi sous tension vis-à-vis des réserves disponibles. Le sodium se trouvant en très grande quantité sur Terre, ces batteries seraient ainsi bien meilleures pour mener à bien la transition vers des mobilités bas-carbone. Bien que la substitution puisse être utile, il faut noter que les performances de densité énergétiques des batteries NMC sont supérieures à celles des LFP, elles mêmes supérieures à celles au sodium. Les batteries NMC seront donc probablement fléchées vers les usages les plus exigeants comme la mobilité lourde. La substitution technique sera très utile pour libérer une partie de la pression sur certains métaux critiques mais ne peut pas répondre à tous les défis que pose l’augmentation de la demande en métaux.

Qu'en est-il du recyclage ?

En 2021, moins de 50% des batteries européennes étaient collectées pour être ensuite recyclées. [5] Le recyclage est pourtant indispensable pour faire baisser la demande et pourvoir en énergie bas-carbone nos sociétés sur le long terme.

Les taux de collecte sont encore bas (donc ceux de recyclage encore plus) mais la nature très différente des batteries à venir, beaucoup plus volumineuses, lourdes et contenant plus de valeur autorise des taux de collecte très importants dans les années à venir.

Les batteries sont recyclables à 100%, il est théoriquement possible de reprendre l’ensemble des composants d’une batterie pour faire une nouvelle batterie.

Néanmoins, ce qui est théoriquement faisable ne le sera pas forcément dans la pratique pour des raisons techniques ou financières.

Pourtant, les industriels promettent ou arrivent déjà à des solutions de recyclage très efficaces.

Les batteries au lithium seraient recyclables à 95% par l’entreprise américaine Li-cycle. Un centre de recyclage en France soutenu par l’Union Européenne assure quant à lui pouvoir recycler à 90% les métaux stratégiques (cobalt, lithium, nickel). [6] [7]

En ce qui concerne les énergies renouvelables, l’industrie française annonce également un recyclage très performant pour les éoliennes :

“Le premier parc éolien raccordé au réseau en France a ainsi été démantelé par ENGIE qui a recyclé plus de 96 % des composants. […] Le 17 mars 2022, le premier prototype de pale 100% recyclable est sorti avec succès” [8]

Soren, l’organisme agréé par les pouvoirs publics pour la collecte et le traitement des panneaux photovoltaïques usagés en France annonce un taux moyen de valorisation pour un module photovoltaïque à base de silicium cristallin et avec un cadre en aluminium de 94% [9].

Ainsi, il semblerait qu’il y ait peu de freins techniques à une circularité presque complète des filières de matériaux dans les secteurs des mobilités et des énergies bas-carbone.

La volonté politique et la législation doivent donc suivre pour permettre d’atteindre une meilleure circularité.

Pour anticiper l’arrivée en fin de vie des premiers parcs installés en France, il est obligatoire depuis 2022 de recycler 90 % des éoliennes en cas de démantèlement. À partir de 2024, cette obligation passe à 95 % des éoliennes. [10]

Puisque la vente de véhicules électriques se massifie depuis quelques années seulement et que la durée de vie des batteries est importante (au moins 10 ans), les premières batteries à recycler arriveront dans la décennie 2030.

L’Europe a mis en place un règlement ambitieux pour le recyclage des batteries. 70 % minimum du poids des batteries à partir de 2030 devra être recyclé, et à partir de 2032, 80% du lithium et 95% du Cuivre, Nickel et Cobalt devront être recyclés. Elle prévoit également des niveaux minimaux obligatoires de contenu recyclé des batteries de véhicules électriques dans son règlement. Bien que ces niveaux soient encore faibles pour certains métaux (6% de lithium et de cobalt recyclé, 16% pour le cobalt), ils constituent une réelle avancée compte tenu du nombre encore faible de batteries actuellement en fin de vie donc disponibles pour le recyclage. [11]

La transition énergétique peut-elle se faire sans augmenter l’extractivisme ?

Besoins en métaux pour la transition énergétique selon l'énergie et le secteur concerné

Il est indéniable que l’extraction de métaux va augmenter si l’on suit les projections de décarbonation à horizon 2050. En revanche, on oublie souvent de mentionner que cette hausse de matière extraite permettra de réduire les énergies fossiles dont l’obtention ne se fait pas sans extraction de matière.

D’après Watari et al., la matière totale requise pour le secteur des transports et le secteur de l’électricité était de plus de 57 Gt de matière extraite en 2015, elle pourrait être de moins de 40 Gt en 2050. [13]

Il est à noter que plus vite nous transitionnerons, plus vite les extractions diminueront. L’étude de Watari et al. 2021 s’appuie sur le scénario de l’Agence Internationale de l’Énergie de 2018 qui vise un réchauffement global sous 2°C. Viser 1,5°C et donc l’absence de fossiles dans la production d’électricité en 2050 permettrait d’abaisser encore plus l’extraction.

A cela s’ajoutent le recyclage des batteries et des systèmes d’énergies renouvelables qui se recyclent plus facilement que le pétrole. Ainsi, en matière totale extraite, la transition vers des énergies et des mobilités bas-carbone pourrait aussi réduire l’extractivisme.

Un problème de flux

Bien que les réserves soient suffisantes pour la plupart des métaux, l’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons impose une augmentation très importante du rythme d’extraction et cela fait peser des risques sur notre capacité à mettre à l’échelle les chaînes d’approvisionnement suffisamment vite pour répondre à la demande. Le problème n’est donc pas un problème de stock de matériau mais de flux à mobiliser rapidement.

Divers leviers peuvent être activés conjointement pour sécuriser cette transition vers un monde débarrassé des énergies fossiles. Le recyclage, la substitution et l’efficacité des matériaux employés mais aussi l’action sur la demande sont autant de moyens de boucler l’équation.

Besoins en extraction pour la production d'électricité et le secteur du transport selon les efforts mis en œuvre

Nous pouvons à nouveau mobiliser l’étude de Watari et al. qui permet de montrer l’impact sur l’extraction de divers leviers socio-techniques. Dans cette étude, au niveau mondial, le recyclage passe de 0 à 80% et le partage de voiture permet une diminution de 30% des kilomètres parcourus (ce qui correspond au scénario le plus sobre de l’ADEME à horizon 2050). Le graphique montre que cela a un impact surtout dans le domaine des transports et beaucoup moins dans le domaine de la production d’électricité (notamment à cause du fait que les infrastructures électriques ont une plus longue durée de vie et que l’effet des leviers se fait sentir plus tard). L’augmentation de l’extraction est une nécessité même avec des actions très volontaristes.

Evolution des besoins d'extraction par métaux à horizon 2030 selon le scénario de décarbonation

Ce graphique de l’ETC permet de montrer pour un certain nombre de métaux importants que la demande de moyen terme va augmenter, que cette hausse peut être contenue via une action sur la demande avec une augmentation de l’efficacité et du recyclage mais qu’il faut ouvrir des centaines de mines dans les prochaines années afin de faire advenir une économie bas carbone. A noter que ces chiffres sont basés sur un scénario +1,5°C donc avec un déploiement très agressif (et bienvenu à notre sens) des technologies bas carbone. [3]

C’est bien l’ouverture de mines qui est le goulot d’étranglement de la partie métallique de la transition énergétique. D’après l’ETC, il est bien plus rapide de mettre en place une usine d’assemblage de véhicules électriques (de 1 à 3 ans) ou de panneaux solaires (de 6 mois à 2 ans) que de mettre en fonctionnement une mine. Le temps écoulé entre la découverte d’un gisement et le début de l’extraction de la matière est d’en moyenne 17 ans pour les plus grands projets miniers de la dernière décennie. [3]

Il faudrait donc accélérer l’ouverture de sites miniers. Cela pourrait pourtant avoir des conséquences négatives car l’industrie minière n’est pas sans risques et qu’une telle accélération laisserait moins de temps à l’étude de ces risques sur la santé et la ressource en eau des populations locales ainsi que sur la biodiversité. Pour sortir du dilemme tragique qui consisteraient à choisir entre, d’un côté, un monde décarboné mais aux impacts miniers délétères sur l’environnement, ou de l’autre, un monde carboné aux impacts miniers moins forts, l’action collective et la sobriété sont souhaitables et possibles ! [14] Elles permettront de décarboner en profondeur et rapidement tout en limitant l’impact minier sur les populations et les écosystèmes locaux.

Les risques ne sont pas inexistants (biodiversité, eau, gouvernance/social)

Les réserves de métaux ne sont pas également réparties sur le globe et l’extraction des métaux pose de nombreuses questions de gouvernance. D’une part, certains pays possèdent une grande partie des réserves mondiales ce qui peut amener à des situations de monopoles. D’autre part, la plupart des mines se trouve dans l’hémisphère sud et les technologies bas-carbone bénéficient jusqu’à présent majoritairement aux pays de l’hémisphère nord. Il est donc nécessaire de veiller aux questions géopolitiques soulevées ici pour assurer une transition écologique juste socialement.

L’extraction minière a de nombreux effets délétères sur les écosystèmes avoisinant les mines.

Les impacts directs des mines sur la biodiversité sont relativement minimes par rapport aux autres secteurs, mais les impacts indirects sur la déforestation sont une source de préoccupation, ETC [3]

L’image ci-dessus montre que les impacts directs des mines sur la biodiversité sont très faibles comparés à d’autres activités telle que l’agriculture ou la sylviculture qui sont responsables de déforestation plus grandes. Sur la graphique de gauche, la perte de biodiversité due à l’extraction de ressources est négligeable en comparaison des cultures agricoles (Agricultural crops) et des pâturages (Pasture)

Néanmoins, il serait trompeur de réduire l’activité minière aux impacts directs. La partie droite de l’image montre en effet la déforestation indirectement due aux mines. Il s’agit cette fois des zones autour des mines qui sont victimes de déforestation pour des activités économiques liées à la mine. D’après cette source, la déforestation qui a lieu dans les 70km aux alentours d’une mine est 12 fois plus élevée que celle qui a lieu sur le site de la mine.

De plus, un échange avec SystExt [15] nous confirme que nous manquons d'indicateurs fiables lorsqu'il s'agit d'évaluer les impacts sur la biodiversité. Cette étude, comme la majorité des évaluations, repose sur la déforestation et les effets induits car c’est l’indicateur pour lequel le plus de données existent.

Or, de nombreux enjeux ne sont pas quantifiés tels que la pollution des eaux souterraines et de surface, l’eutrophisation de certains cours d’eau, la pollution des sols, la pollution de l'air, les effets induits par les vibrations, le bruit et la lumière, ou encore la fragmentation des habitats. Les conséquences associées sur la faune et la flore s'en trouvent donc nécessairement très sous-estimées, d'autant plus que les approches actuelles reposent principalement sur la mortalité des espèces et non sur les enjeux de santé animale ou végétale. Enfin, nous manquons également de données scientifiques sur l'écotoxicité de nombreux métaux et métalloïdes.

Les impacts sur la santé humaine du secteur minier sont non négligeables et l’ouverture de mines bénéficie très peu aux populations locales alors qu’elles affectent considérablement leur qualité de vie et de santé. Une étude des impacts environnementaux, économiques et sociaux auprès des communautés voisines de mines montrent ce déséquilibre flagrant [16]

Impacts positifs et négatifs des mines sur des populations de Tanzanie, du Burkina Faso ou du Mozambique

On peut tout de même rappeler que les forages d’énergies fossiles et les mines de charbon sont loin d’être exemptes d’impacts négatifs locaux sur la biodiversité et la santé humaine.

Par devoir de précaution, il est néanmoins crucial de surveiller, documenter et réduire les impacts du secteur minier car la hausse de la demande en métaux nécessitera l’ouverture de centaines de nouvelles mines dans des endroits où les conditions d’extraction (métaux plus difficiles d’accès ou moins abondants que dans les mines actuelles) pourraient potentiellement décupler les risques sociaux et environnementaux.

Conclusion et leviers d’actions

Les métaux nécessaires à une transition vers une production d’énergie et des mobilités bas-carbone sont présents en quantité suffisante sur Terre. En revanche, les réserves de certains métaux stratégiques risquent de s’épuiser s'il n’y a pas de mesures de sobriété et de recyclage pour limiter la demande.

La vitesse à laquelle la transition doit être réalisée pose des problèmes de flux, qu’il faudra gérer sans sous-estimer les dégâts socio-environnementaux de l’industrie minière.

Les questions géopolitiques rappellent la complexité de nos sociétés et soulignent l’importance des questions de justice sociale et de gouvernance, sans quoi la transition vers des énergies et des mobilités bas-carbone se fera au détriment d’une partie de la population qui s’avère être dès aujourd’hui la plus vulnérable au changement climatique.

Sources

  1. We have enough minerals for the energy transition, but medium-term supply is a challenge [Part 1] ****https://www.sustainabilitybynumbers.com/p/transition-mineral-demand-part-one
  2. We have enough minerals for the energy transition, but medium-term supply is a challenge [Part 2] https://www.sustainabilitybynumbers.com/p/transition-mineral-demand-part-two
  3. Material and Resource Requirements for the Energy Transition, ETC https://www.energy-transitions.org/publications/material-and-resource-energy-transition/
  4. The State of Critical Minerals Report 2023, the Payne Institute for Public Policy https://payneinstitute.mines.edu/wp-content/uploads/sites/149/2023/09/Payne-Institute-The-State-of-Critical-Minerals-Report-2023.pdf
  5. Waste statistics - recycling of batteries and accumulators https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Waste_statistics_-_recycling_of_batteries_and_accumulators
  6. Li-Cycle https://li-cycle.com/
  7. Eramet https://www.eramet.com/fr/activites/relieve-recyclage-batteries/
  8. Engie https://www.engie.com/activites/renouvelables/eolien/recyclage-eolienne
  9. Soren https://www.soren.eco/re-traitement-panneaux-solaires-photovoltaiques/
  10. 10 mesures pour un développement maîtrisé et responsable de l’éolien, Ministère de la Transition Écologique https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2021.10.05_10mesures_Eolien-3.pdf
  11. Le Conseil adopte un nouveau règlement relatif aux batteries et aux déchets de batteries https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/10/council-adopts-new-regulation-on-batteries-and-waste-batteries/
  12. Fournir des métaux pour le marché des batteries, ADEME Infos https://infos.ademe.fr/lettre-recherche-janvier-2022/fournir-des-metaux-pour-le-marche-des-batteries/
  13. Watari et al. 2021 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652621019168
  14. Martha C. Nussbaum, 1989 : Tragic Dilemmas. Radcliffe Quarterly.
  15. SystExt https://www.systext.org/
  16. Leuenberger et al. 2021 https://doi.org/10.1371/journal.pone.0252433