Devons-nous toutes et tous devenir végétarien ?

publié par
Adrien Burdy
le
Monday
19
February
2024

Quel est l'impact actuel de l’élevage ?

La production alimentaire émet environ 18 GtCO2eq/an, soit 34% des émissions mondiales. [1]

57% de ces émissions sont dues à la nourriture d’origine animale. Or les produits animaux fournissent seulement 18% des calories et 25% des protéines que l’on ingère. En France, la part de protéines animales grimpe à 61% et nous consommons 45% de protéines en trop d’après l’INCA (étude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires). [2,3]

Regardons l’empreinte carbone d’un français ci-dessous :

On voit ici que la viande a une part prépondérante avec 920 kgCO2eq/an. Si l’on ajoute le lait, les œufs et le poisson, on obtient 1,43 tCO2eq soit 60% de l’empreinte carbone de l’alimentation et presque 15% de l’empreinte carbone totale d’un français, soit le 2ème poste après la voiture !

Regardons donc, dans les détails, quels changements sont efficaces pour réduire l'impact écologique de notre alimentation.

Que devient cet impact si on change de régime alimentaire ? 

L'empreinte carbone

Voici l’empreinte Gaz à Effet de Serre (GES) des différents régimes alimentaires français aujourd’hui :

Empreinte GES de différents régimes alimentaires, ADEME [4]

Un flexitarien (ici au sens d’une consommation de 30g de viande par jour) a déjà une alimentation 3 fois moins émettrice par rapport à un régime omnivore 170g ! En passant à un régime végétarien, on atteint une division par 4 de l’empreinte carbone de l’alimentation et encore un peu plus avec un régime végan. Réduire sa consommation de viande est donc un levier très puissant.

En général, les produits animaux sont les plus émetteurs de GES mais il est intéressant de regarder en détail l’impact de chaque aliment.

On voit nettement que la viande bovine prend une part énorme dans l’empreinte d’une personne qui consomme en moyenne 170g de viande par jour. Le lait et les autres viandes ont aussi des contributions importantes.

Parmi les viandes, le bœuf d’élevage émet près de 100 kgCO2eq/kg, l’agneau et le mouton 40kgCO2eq/kg, les crevettes d’élevage 27, le poisson 14, le porc 12 et le poulet 10 kgCO2eq/kg. Pour avoir un point de comparaison, le tofu plat à base de soja et concentré en protéine végétale émet 4 kgCO2e/kg) [5]

Ramené aux apports protéinés, le bœuf est 25 fois plus carboné que du tofu, le poisson est quant à lui 3 fois plus carboné.

Pour décarboner son alimentation, il faut donc substituer en priorité le bœuf et les autres sources de protéines animales par des protéines végétales. Nous verrons l’impact du transport plus loin.

Ces alternatives végétales sont moins émettrices, ce qui rend les régimes végétariens et végans bien moins carbonés.

Terminons en regardant l’impact des différents types de lait et, comme il n’y a pas que la question du climat comme problème environnemental le graphique suivant montre la différence entre le lait de vache (dairy milk) et différents laits végétaux (avoine (oat), soja (soy), amande (almond), riz (rice)) pour le climat (Greenhouse gas emissions) mais aussi pour l’utilisation des sols (land use), l’utilisation de l’eau (freshwater use) et la pollution à l’azote (eutrophisation ou eutrophication):

Si les différents laits végétaux se battent pour obtenir la place du lait au moindre impact en fonction de l’indicateur que l’on regarde, il apparaît clairement que le lait de vache est le plus impactant, et de loin, pour tous les indicateurs.

Impacts environnementaux des différents laits

Et les autres frontières planétaires ?

Les données citées jusqu’à présent concernent principalement le changement climatique qui est une des 9 frontières planétaires. Bien que ce soit la seule prise en compte dans Horizons Décarbonés, il est important d’avoir autant que possible une approche systémique et multicritères afin d’anticiper de potentiels écueils sur d’autres frontières planétaires.

Or, le fait de substituer tout ou partie de la viande par des alternatives végétales permet également des co-bénéfices sur les autres frontières planétaires, comme le montre ce graphique réalisé à partir d’une récente étude scientifique :

Impacts des alternatives végétales à la viande et au lait sur les frontières planétaires

On constate ici une baisse de la consommation d’eau, des engrais de synthèses azotés nécessaires et un potentiel reboisement de surfaces libérées par l’élevage (car cultiver du fourrage et des céréales pour nourrir le bétail qui pâture, nécessite plus de surface que de cultiver directement des aliments directement destinés à l’alimentation humaine). Autant de raisons pour décarboner notre alimentation en consommant plus d’aliments d’origine végétale.

Et manger bio, local et de saison : quel impact ?

Acheter local

“Mais si je mange de la viande locale ?”. On entend souvent parler de l’alimentation locale. En effet, avoir une alimentation locale a de nombreux avantages écologiques et sociaux car cela favorise la résilience alimentaire, rémunère les agriculteurs et crée du lien social entre les producteurs et les consommateurs. Mais est-ce vraiment efficace pour réduire son empreinte carbone ?

En réalité non, en tout cas ce n’est pas la solution la plus efficace.

Le graphique ci-dessous donne la répartition des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble de la chaîne allant du champs à la fourchette pour les pays dits “industrialisés” (Crippa et al. 2021 est l’étude la plus récente et la plus complète sur le sujet).

Répartition des émissions de GES du système agro-alimentaire

Le transport compte pour seulement 10% des émissions des systèmes de production alimentaire dans les pays dits “industrialisés” (5% en moyenne tous pays confondus).

Cette part est faible car très peu de produits voyagent en avion (0,4% seulement des émissions du transport) et que le transport de marchandises en bateau est 100 fois moins émetteur à la tonne-kilomètre. En revanche, les rares produits ayant voyagé en avion ont une part d'émissions liées au transport particulièrement élevée (+ de 40% des émissions du produit). [6]

Chaque kilomètre de transport évité est bénéfique mais la part transport est bien inférieure à l’agriculture (émissions de méthane par les ruminants, fabrication des engrais de synthèse, déforestation importée, …)

Il n’est donc pas inutile de consommer local, bien au contraire mais c’est bien moins efficace que d’agir sur notre régime alimentaire pour réduire son empreinte carbone.

Pour le climat ce n’est pas la provenance de l’assiette qui compte mais le contenu de l’assiette.

Acheter de saison

Il est difficile de déterminer les bienfaits d’une consommation saisonnière. Dans la base de données AgriBalyse (ADEME), une tomate hors saison consommée crue est 2,7 fois plus émettrice que qu’une tomate de saison. Cet exemple n’est en revanche pas généralisable à l’ensemble des produits alimentaires saisonniers. [7]

L'impact social d'une alimentation de saison n'est cependant pas négligeable, cela peut générer de l'emploi, du lien social et une meilleure résilience alimentaire. Manger local est donc un effort important si on ne considère pas uniquement le changement climatique.

Acheter bio

Le graphique suivant, produit par MyCO2, montre qu’une alimentation biologique peut être plus émettrice pour un régime carné (on regarde ici les émissions de GES comme seul critère) mais que manger bio et de saison contribue de manière générale à réduire légèrement nos émissions de GES.

Emissions de GES des régimes alimentaires selon le modèle agricole

Si les bénéfices d’une agriculture biologique sont relativement faibles sur le climat, on ne peut pas en dire autant pour la biodiversité et la santé. Les pesticides sont “une préoccupation majeure tant pour la société civile que pour les consommateurs. lls compromettent également la durabilité des systèmes agricoles”. [8] Il est nécessaire d’avoir une vision systémique pour préserver les systèmes agricoles, la biodiversité et notre santé sur le long terme (par exemple en prenant en compte les 9 frontières planétaires) donc l’agriculture biologique est une des solutions pour une alimentation plus juste et respectueuse des frontières planétaires.

Conclusion

Le constat est donc indéniable, réduire notre consommation de viande est l’action la plus efficace pour agir sur les 34% de gaz à effet de serre mondiaux émis par le système agro-alimentaire. Il est bien sûr possible de rester flexitarien mais pas avec n’importe quelle quantité, ni n’importe quel type de produits animaux.

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, chaque habitant aurait un budget de 2 tCO2eq/an au lieu des 9,9 tCO2eq/an actuels (dans un prochain article, on vous expliquera d’où vient ce fameux budget de 2 tonnes). Il faut donc tendre au maximum vers le régime végétarien (qui divise par 5 les émissions du régime alimentaire). Et c’est d’ailleurs le cas dans les 4 scénarios de l’Ademe, dans des proportions toutefois bien différentes :

On peut d’ailleurs citer pour finir le rapport “Transition(s)” qui détaille les transitions effectuées dans les quatre scénarios :

“Les scénarios 1 et 2 misent sur une grande sobriété dans l’assiette par le biais d’une transition alimentaire vers des régimes plus sains se rapprochant des recommandations nutritionnelles, en quantité comme en qualité et plus sobres en ressources avec une réduction drastique des consommations de produits animaux, notamment carnés. L’empreinte (GES, sol) de l’alimentation des Français est significativement réduite, contribuant ainsi à l’effort global”

“Les scénarios 3 et 4 misent sur les performances des filières et la capacité d’autres secteurs à stocker du carbone ou produire en limitant l’impact sur l’environnement, pour modifier les régimes alimentaires de manière moins significative en moyenne.”

N’oublions pas que réduire notre consommation de produits animaux au profit d’alternatives végétales est une nécessité pour diminuer les risques liés au dépassement des plusieurs frontières planétaires. Pour en savoir plus sur les frontières planétaires, vous pouvez participer à notre autre atelier : la Fresque des Frontières Planétaires.

Sources

  1. Crippa et al. Food systems are responsible for a third of global anthropogenic GHG emissions, https://doi.org/10.1038/s43016-021-00225-9
  2. Bowles et al. 2019 https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2019.01.033
  3. Afterres 2050
  4. Rapport “Transitions 2050”, ADEME https://www.ademe.fr/les-futurs-en-transition/
  5. Environnmental impacts of food, Our world in data https://ourworldindata.org/environmental-impacts-of-food
  6. Poore and Nemecek 2018, Reducing food's environmental impacts through producers and consumers https://doi.org/10.1126/science.aaq0216
  7. Agribalyse https://agribalyse.ademe.fr/app/aliments?search=saiso
  8. Prospective : Agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/INRAE_prospective2050_FR_WEB-page.pd