Bientôt une 7ème frontière planétaire franchie ?

publié par
Adrien Burdy
le
Monday
19
February
2024

Dans le dernier papier scientifique du Stockholm Resilience Centre d’octobre 2023, 6 frontières planétaires sur 9 étaient considérées comme franchies.

Parmi les trois restantes, seul l’appauvrissement de la couche d’ozone semble être stabilisé en zone sûre. La charge atmosphérique en aérosols et l’acidification des océans, bien qu’encore en zone sûre, sont soumises à des pressions grandissantes.

Dans cet article, nous nous penchons sur l’acidification des océans qui pourrait être la septième frontière planétaire franchie.

Comprendre l’acidification des océans et ses conséquences

L’acidification des océans est un des 9 processus terrestres établis comme frontières planétaires. Depuis les temps préindustriels, la surface des océans a baissé de 0,1 unité de pH, soit une acidification au moins 100 fois plus rapide qu’à n’importe quelle période durant les vingt derniers millions d’années. [2]

Une acidification aussi rapide des océans perturbe la biodiversité marine et remet en question la capacité des océans à jouer son rôle de puits de gaz carbonique (l’océan absorbe approximativement 25% des émissions humaines).

L’océan absorbe du gaz carbonique de l’atmosphère de deux manières différentes :

  • à travers la dissolution du CO2 dans l’eau océanique ;
  • à travers l’assimilation du carbone par les organismes marins.

Cette absorption des émissions anthropiques de CO2 est inégale en fonction du temps et de l’espace dans l’océan.

Impact de l'excès de CO2 sur la formation des coquilles des organismes marins. Source : NOAA

L’acidification des océans menace les organismes marins qui utilisent les ions carbonates pour former leur squelette ou leur coquille protectrice en carbonate de calcium.

En effet, la hausse de 0,1 unité de pH a provoqué une baisse de 16% de la concentration de l’eau en ion carbonate, ce qui rend plus difficile la création de squelettes ou de coquilles indispensables à la survie de nombreux organismes.

Certains de ces organismes sont insensibles à la variation de CO2 et d’autres susceptibles de s’adapter à ce changement d’acidification mais les études scientifiques montrent que l’impact de l’acidification des océans est vaste et que les effets sont multiples : des perturbations du taux de croissance, de la prédation, des métabolismes ou encore de la reproduction ont été observées dans certaines régions.

Comment est définie la frontière planétaire ?

Dans le cadre des travaux sur les frontières planétaires, les scientifiques ont retenu comme variable de contrôle le taux de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite (Ω). L’aragonite est une des formes de carbonate de calcium secrétées par les espèces marines. C’est elle qui a été choisie car elle est plus soluble dans l’eau et donc serait la première à se dissoudre avec l’acidification des océans.

La baisse du pH entraîne la baisse de la concentration en ion carbonate et de fait la baisse du taux de saturation en aragonite et en calcite. Si le taux de saturation est inférieur à 1, le carbonate de calcium des coquilles et des squelettes solides devient soluble (à moins que les organismes marins évoluent pour lutter contre leur dissolution).

Le taux de saturation en aragonite de l’eau de mer de surface était de 3,44 en 1850 (début de l’ère préindustrielle).

Il atteignait les 2,8 en 2023.

Avec la multiplication par 2 du CO2 émis, le taux de saturation en aragonite serait à 2,29 (donc encore bien au dessus du seuil de dissolution). Cependant, bien que l’océan soit globalement au dessus du seuil de dissolution (Ω = 1), de larges parties de l’océan Arctique serait elles sous-saturées dès 2030-2060.

L’acidification des océans pourrait également avoir des répercussions graves sur les récifs coralliens puisque la grande majorité des récifs seraient exposés à une sous-saturation (extrêmement) dangereuse d’ici 2050. Cela s’ajoute au stress subit par les récifs à cause du réchauffement climatique, et ces stress combinés pourraient avoir des effets accentués sur les écosystèmes coralliens.

Ainsi, le seuil de la zone sûre n’est pas fixée à Ω = 1 car les risques seront déjà extrêmement importants. Le processus est donc considéré en zone sûre jusqu’à 80% du taux de l’ère préindustrielle soit Ω = 2,75.

Le dernier papier scientifique de Stockholm Resilience Centre établissait donc que la frontière planétaire de l’acidification des océans n’était pas franchie puisque la variable de contrôle en 2023 est à 81% de la valeur de 1850.

Peut-on prédire le dépassement de la frontière ?

Tout mène à croire que la frontière va être franchie prochainement mais sommes-nous capables de prédire quand ce dépassement aura lieu ?

Simulation de l’évolution du changement global de température selon les scénarios du GIEC en fonction des scénarios SSP [3]

Des échanges avec le scientifique Lester Kwiatkowski nous ont permis d’obtenir des modélisations à partir des modèles CMIP6. Sur la base des scénarios SSP, il est possible de modéliser l’évolution du taux d’aragonite et le dépassement du seuil de la frontières planétaire.

Résultat de la modélisation [4]

Ainsi, la frontière serait franchie en 2029 dans le scénario SSP5-8.5 et en 2030 dans le scénario SSP1-2.6. En effet, peu importe les scénarios, la réduction de la concentration en CO2 dans l’atmosphère débutera à moyen terme seulement. La frontière devrait être franchie sensiblement à la même période quelque soit le scénario et resterait franchie jusqu’à 2100 pour tous les scénarios sauf le scénario SSP1-1.9.

Plus globalement, il est important de souligner, et Kwiatowski le rappelait encore, que ce seuil est arbitraire. Son choix est subjectif mais motivé par deux principaux éléments rationnels : limiter la sous-saturation en aragonite des eaux de surface dans les océans Arctique et Antarctique et assurer des conditions adéquates pour la vie des systèmes coralliens.

Alors que la frontière n’est pas encore franchie, nous avons déjà des preuves scientifiques d’impacts négatifs sur les écosystèmes marins dès aujourd’hui.

Il est crucial d’avoir une vision systémique des pressions humaines sur le système Terre. Animer la Fresque des Frontières Planétaires permet de diffuser cette approche systémique au plus grand nombre. Si vous n’êtes pas encore animateur ou animatrice, rejoignez nos prochaines formations à l’animation et continuez ainsi à apprendre et à agir !